Cachez ce sang que je ne saurais voir ! Il est partout dans les pubs pour les protections menstruelles polluantes, ce sang bleu auquel les femmes ne s’identifient pas.
Pas question ici de royauté, mais d’un phénomène physiologique féminin normal : les menstruations. A travers le temps, l’histoire et les croyances, découvrez comment les femmes vivent leur phase menstruelle dans le monde.

Sommaire

SOMMAIRE
I) Rituels des ménarches
II) Quand les règles sont impures
III) Quand les règles sont sacrées
IV) Mythes et légendes françaises
V) Evolution du tabou dans notre société
VI) La vision naturopathique des menstruations
menstruations et sororité sang menstruel et féminin sacré

I) Ménarches du monde entier : les rituels des premières menstruations

Commençons par le commencement. Avoir ses premières règles, c’est entrer dans l’âge adulte. La ménarche devient une Femme. De nombreux rituels sont associés aux premières règles et, à mon avis, en disent long sur l’environnement dans lequel la jeune femme évoluera.

La baffe traditionnelle (Turquie, Afghanistan, Grèce et France)

Maman, je saigne !“. Et voilà que sa mère lui assène une gifle en guide de Bienvenue dans le monde des Femmes. Parfois, cette gifle est reçue alors même que la jeune fille, terrifiée, n’avait jamais reçu d’explication sur les menstruations. Cette tradition s’observe en Turquie, en Afghanistan, en Grèce et en France.

Le Sekihan (Japon)

La mère de famille prépare un plat de célébration appelé le Sekihan (constitué de riz et de haricots azukis), qui sera servi à toute la famille sans expliquer pourquoi. Les autres membres doivent deviner la raison pour laquelle ce plat est servi.

Une semaine d’initiation (Zambie)

La jeune femme est isolée lors de sa première semaine de règles pour recevoir des conseils sur le cycle menstruel, la sexualité et la tenue d’un ménage. Cette transmission est donnée par une tante ou une femme proche de la famille. Elle n’est jamais donnée par sa propre mère, avec qui le sujet des règles est considéré comme tabou.

La cérémonie du Cacao (Costa Rica)

Cette cérémonie est donnée aux jeunes femmes qui ont leurs premières règles. Notons que ce sont les femmes qui détiennent les terres et les cultures du Cacao (dont l’arbre sacré est en fait la Déesse Sibu, selon les croyances locales).

II) Quand le sang menstruel est impur

A l’origine, les femmes se retiraient périodiquement de leur société pour leur propre bien-être. Loin de l’agitation de la société, elles peuvent se reposer et être autonomes.

D’aileurs, dans la vallée du Kalasha (Pakistan), les femmes en période de menstruations se retrouvaient autrefois dans des Bashali Commun, considérés comme “Le Lieu le plus Sain” et respectés par les hommes.

Mais avec la montée du patriarcat entre 10 000 et 6000 avant J.C., les hommes ont prit possession des enfants, du bétail et des biens.
Les inégalités se créent alors. La place de la femme dans la société se dégrade et son sang devient impur.

Chaupadi (Népal), une retraite précaire et illégale

Cette tradition tristement célèbre pourtant interdite est encore en vigueur dans certaines régions du Népal. Chaupadi signifie intouchable : les femmes sont exclues et doivent se réfugier seule dans une petite hutte le temps de leurs menstruations mais aussi après leur accouchement. Les conditions de cet exil sont particulièrement précaires et les décès sont fréquents.

Chaupadi règles menstruations impures

Menstruations, confinement et purification (Religion Hindoue)

Il est déconseillé aux hommes hindous de toucher et même de voir une femme qui à ses règles. Pendant la période menstruelle, la femme est confinée dans une pièce de la maison. Au bout du troisième jour, elle prend un bain appelé Ritusnana qui vise à la rendre de nouveau pure.

Tabou menstruel (Inde)

Le tabou menstruel est très fort en Inde. La plupart des femmes n’ont pas accès aux protections périodiques (elles sont seulement 12%). Elles utilisent des chiffons pour recueillir le sang et portent des jupes doublées pour cacher leurs menstruations.
Dans les familles aisées, il existe parfois des poubelles spéciales réservées aux recueil des protections périodiques. Seules les employées de maison s’occupent de manipuler et sortir ces poubelles, considéré comme un acte dégradant.

La bouche du haut et la bouche du bas

Dans beaucoup de traditions religieuses (église orthodoxe, islam) et régions du monde (Asie du sud), les femmes sont interdites soit de relations sexuelles pendant leurs règles, soient d’accéder à la cuisine (et bien souvent : les deux !).
Il y a un lien à mes yeux : le sexe et la bouche sont formés à partir des mêmes cellules et pour les deux organes, on parle “des lèvres”.

Inégalités professionnelles (Japon)

Au Japon, on pense que les femmes ayant leurs règles dénaturent le gout des aliments. C’est pour cette même raison que le métier de maître sushi est encore aujourd’hui réservé aux hommes.

.

III) Quand les mentruations sont sacrées

Les règles des femmes dans le monde et à travers l’histoire ne sont pas toujours synonymes de discriminations. Il existe aussi quelques références plus positives, comme nous allons le voir.

Un processus normal (Religion Jaïn)

Dans le jaïnisme, la femme qui a ses règles ne se voit pas imposer de restrictions. On reconnait cette période comme un temps de purification où le repos est nécessaire, et pendant lequel l’homme de maison endosse les fonction de la femme menstruée.

Les menstruations comme une force sauvage (Peuple Cherokee, Rome Antique)

Pour les Cherokee, le sang menstruel était gage de force (on retrouve cette idée actuellement, avec les sportives de haut niveau qui affichent fièrement avoir gagné des médailles pendant leur période menstruelle).

Dans cette même idée de puissance, Pline l’Ancien (Rome Antique) écrivait :

“Le corps nu d’une femme menstruée peut effrayer les tempêtes et la foudre. Si elle se promène dans un champ, les chenilles les vers et les coléoptères tombent des épis de maïs”.

Magie de la souillure (Roumanie, Afrique du Sud)

On utilise le sang menstruel (et tout type de sécrétions du corps) pour pratiquer la magie amoureuse, dans les rituels de purification et de destruction.

Le Plomb Rouge (Chine)

En Chine, on se servait du sang menstruel pour fabriquer le plomb rouge, un médicament sensé prolonger la vie selon l’alchimie taoïste.

Moins drôle, cependant : seul le sang des femmes qui n’avaient pas eu de relation sexuelle était utilisé. Pour garantir la pureté du sang, des tortures et abus étaient infligés aux femmes.

Alchimie taoïste plomb rouge  règles des femmes dans le monde chine
Source : medium.com

La Terre-Mère a aussi ses règles (Traditions Shakti)

Retour en Inde ou ce ne sont pas les femmes menstruées qui sont célébrées, mais la Terre-Mère qui à ses règles ! On retrouve ce festival de 3 jours dans le Shaktisme, notamment.
Un tissu blanc est déposé sur une pierre en forme de yoni (le sexe féminin) qui sera ensuite teinté de rouge à la fin du festival et partagés entre les personnes qui ont assisté à la cérémonie.

Ambubachi Mela les menstruations de la Terre-Mère
Source : praditintime.com

IV) Mythes et légendes autour des menstruations, ici et maintenant

Je t’ai beaucoup parlé de la place des menstruations d’autres époques et de lieux éloignés. Mais qu’en est-il de notre culture ? La France d’aujourd’hui s’est-elle affranchie des fausses croyances autour du cycle menstruel ?

Le sang bleu

Indice pour la question précédente : NON 😉 Voici les mythes les plus courants :

  • La proximité d’une femme qui a ses règles empêcherait la mayonnaise de monter.
  • Laver ses cheveux pendant les règles est déconseillé (mais je n’ai toujours pas compris pourquoi. Peut-être un lien avec l’impact des hormones sur le cheveu, qui sont un peu plus fragiles pendant les règles ?).
  • Le bain et la piscine sont interdits à cette période sous peine de “couper les règles”.

Bien sur, aucune de ces affirmations n’est vraie.

Menstruations, entre tabou et désinformation

En fait, si les marketeux se sont tellement évertués à nous vendre des serviettes qui rendent notre sang menstruel bleu, incolore, inodore, c’est sans doute parce que nous sommes devant le tabou féminin le plus absolu.

Qui dit tabou dit désinformation. On ne parle pas, on ne montre pas, on ne creuse pas la question, on ne veut pas savoir.

Le cycle féminin est visible surtout pendant la période des règles et cela a de quoi susciter de nombreuses questions. Après tout, ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir saigner sans être blessé !

Sur l’échelle de l’Histoire, la science n’a étudié le cycle féminin que très récemment. Les idées reçues ont donc eu tout le temps de proliférer. Jusqu’au jour où on a entendu Tonton Gérard nous dire : “Ooooouh t’es malaimable aujourd’hui. T’as tes ragnagnas ?“. Oui mais non tonton, ça va pas être possible.

Aujourd’hui, le cycle menstruel enfin étudié ! Nous en comprenons mieux les tenants et les aboutissants. Nous avons la possibilité de tenir compte de ces nouvelles notions pour définir notre relation à notre cycle féminin.

L’archéomythologue Marija Gimbutas a changé la vision du rapport au féminin à la préhistoire. C’est notamment grâce à elle que nous devons la reconnaissance des calendriers menstruels préhistoriques, qui avaient toujours été jusque là considérés comme de simples “bâtons rituels”.

Les “Femmes Sacrées” ne sont pas mieux loties

A travers le symbole de la Lune et de la Triple Déesse, les femmes se connectent à leur part sacrée.

L’esprit de Sororité Sacrée émerge. On respecte le cycle féminin et même, on le suit ! On le comprend ! Le tabou des règles disparait nous pouvons vivre librement nos menstruations.

Pourtant, même là, il subsiste de fausses idées autour du cycle féminin.

Sororité et phase menstruelle
Le cycle menstruel se synchronise-t-il sur le cycle lunaire ?


Contrairement à d’autres mammifères, le cycle menstruel féminin s’approche en durée du cycle lunaire de 29,5 jours.
Il est naturel pour l’esprit humain de chercher à tracer un lien entre ces deux constats.

Pourtant, la science l’affirme : il n’y a aucune synchronisation entre le rythme lunaire et le rythme menstruel.

Ce qui ne doit pas nous empêcher de nous laisser inspirer par les symboles de la lune, des saisons et des rythmes naturels en général pour questionner notre rapport au cycle féminin si nous le souhaitons. Les pistes proposées par Miranda Gray sont à ce titre intéressantes.

Les règles des femmes se synchronisent-elles ?


En vivant avec d’autres femmes, nous observons une synchronisation des périodes de menstruation. Mais en fait, c’est une histoire de statistiques. Vu la durée d’un cycle menstruel et la durée des saignements, il est hautement probable que plusieurs femmes aient leurs menstruations en même temps au sein d’une cohabitation.

Faut-il en conclure que nous nous synchronisons sur le rythme de nos sœurs et de nos colocataires ?

Non, et d’ailleurs l’étude des stratégies de reproduction humaine tend à prouver que ce serait même contre-productif, puisque nous serions en concurrence pour les mâles à fort potentiel génétique toute à la même période : celle de l’ovulation.

V) Évolution du tabou menstruel dans notre société

Le tabou semble être en bonne voie pour être brisé en Europe. Nous entendons d’ailleurs de plus en plus parler de précarité menstruelle (le fait de ne pas avoir accès aux protections périodiques par manque de moyen financier).

Le visage des publicités tend également à évoluer.

Irène Menstruations et Précarité menstruelle à Paris
A Paris, Irène se prend en photo sans protection périodique pour dénoncer la précarité menstruelle. Instagram/irenevrose

Les menstruations des femmes vues par la publicité

Finalement, en France et de nos jours, j’observe plutôt une montée en puissance de la force menstruelle. Nana a essayé le spot publicitaire montrant du sang rouge en 2018… Malheureusement, une partie du public s’est senti “offensé” et le spot a été retiré.

Ailleurs dans le monde, plusieurs spots ont rencontré un meilleur succès.

Le spot de Nana, version Royaume Uni

“No Blood should hold us back” – un spot plus ancien de BodyForm (Nana)

Ce spot m’avait beaucoup marquée à sa sortie, car je me disais “COOL, enfin un vrai changement de schéma dans les spots vidéos pour les protections périodiques”.

On y voit des femmes faire du skate, du rugby, des combats. On y voit surtout des blessures et pas tellement de menstruations, mais l’idée est forte.

Et si tout le monde avait ses règles ? Le spot féministe de Thinx

https://youtu.be/-QEDZkj_Riw

IV) La vision naturopathique des menstruations

Les naturopathes voient les menstruations comme un moment de détoxination, qui permet au sang de la femme de se régénérer. C’est ce qui nous permettrait de vivre plus longtemps que les hommes.

C’est pourquoi nous proposons plutôt d’alléger les repas et de mettre le corps au repos pendant cette période : cela permet au système digestif de s’auto-nettoyer correctement (de faire sa détox, quoi !).

Crudivorisme, absence de règles et infertilité

Par contre, je ne rejoins absolument pas l’idéologie crudivore qui consiste à dire qu’une femme qui mange cru n’a plus ses règles car elle n’a plus besoin de se détoxiquer.

Le régime crudivore est souvent associés à de grosses carences (protéines, acides gras essentiels, vitamines, minéraux). L’ovulation et l’élaboration de l’endomètre deviennent impossibles dans ces conditions. Les menstruations sont la conséquence de l’ovulation qui n’a pas abouti à une grossesse.

Pas d’ovulation ? Pas de règles. On parle donc d’aménorrhée secondaire, au même titre que les femmes ayant un trouble alimentaire de type anorexie.

On oublie donc le fantasme de pureté intérieure absolue.

La vision de la médecine occidentale

Les médecins pensent que les menstruations ne sont pas utiles au corps (mais bon, ils pensent aussi que l’appendice ne sert à rien, alors hein ;P). Jusqu’à l’avènement de la contraception, les femmes avaient beaucoup de moins de cycles menstruels car elles étaient plus souvent enceintes ou allaitantes.

Avec la contraception et la chute du taux de grossesse par femme, nous femmes du XXIème siècle connaissons beaucoup plus de saignements que nos ancêtres, c’est un fait. Il peut s’agir de vraies menstruations, ou bien d’hémorragie de privation – des règles totalement artificielles – en cas de pilule contraceptive.

Cycle menstruel naturopathie pas de règles régime crudivore

Promouvoir ou supprimer les menstruations ?

Certains médecins proposent donc de supprimer purement et simplement les règles à coups d’hormones de synthèse.

La femme est alors réduite à être “un homme comme un autre“, en ignorant son cycle et ses incidences sur le système immunitaire, le corps et les relations sociales.

Car les hormones du cycle menstruel impactent notre fertilité, mais aussi la façon dont nous ressentons les choses, phase après phase. A la fin du cycle, les variations hormonales nous invitent à la remise en question : c’est une chance qui nous est donnée de changer d’environnement, ou de partenaire, pour notre propre survie et bien-être.

| Lire aussi : Alimentation et cycle menstruel

En Indonésie, les femmes gardent leur cycle menstruel secret. Cela leur conférerait un pouvoir sur les hommes, qui considèrent à ce titre les femmes comme trompeuses.

La médicalisation du corps et de ses mécanismes physiologiques est globalement mal vécue en Occident, de toutes façons. Quand bien même nous faisons le choix conscient d’une contraception hormonale, nous sommes le plus souvent rassurées par l’arrivée des hémorragies de privation entre deux plaquettes (qui n’ont rien à voir avec les menstruations, la fertilité ou la grossesse, de fait).

Conclusion : Menstruations et féminisme

Les mythes autour des règles ont-elles besoin d’une mise à jour ? L’histoire nous montre que les croyances ont partout et tout le temps évolués. Les menstruations font toujours l’objet de croyances erronées.

La publicité tend à montrer que les choses évoluent pour notre société, mais que le public n’est pas toujours prêt à se défaire du tabou menstruel.

Finalement, avoir ou ne pas avoir ses règles, lequel est le plus féministe ? Une chose est sure, c’est simplement quelque chose de physiologique et qui ne devrait pas opprimer les femmes.

.